Comment tout a commencé
À l’occasion du 30e anniversaire de UNITED GRINDING Group, le PDG Stephan Nell a rencontré Werner Redeker, l’ancien président du conseil d’administration de Körber AG. L’entretien porte sur les années quatre-vingt-dix, lorsque fut fondé, en pleine crise de l’industrie allemande et suisse des machines-outils, le groupe d’entreprises Körber Schleifring qui ensuite est devenu UNITED GRINDING Group. Il porte également sur l’avenir du groupe dans un monde où beaucoup de choses changent – et où beaucoup de choses restent tout de même étonnamment identiques
Je vous montre ici le « Motion » de 2013, paru à l’époque pour le lancement de la nouvelle marque et du nouveau design des machines. Vous vous en souvenez, Monsieur Nell ?
Stephan Nell : Le nouveau design des machines était une grande révélation à l’époque au salon EMO de Hanovre, en montrant pour la première fois au monde extérieur que nous sommes un groupe. Ensemble, nous avons réussi à présenter des machines de toutes nos marques dans un nouveau design au salon EMO, ce qui fut pour nous un grand pas sur la bonne voie.
Werner Redeker : Je me rappelle ce magazine. À cette époque, j’étais encore président du conseil d’administration chez Körber. Une marque uniforme pour le groupe et une plus grande cohésion étaient déjà des objectifs à mon époque chez Körber, que nous n’avons malheureusement jamais vraiment atteints.
Nell : Beaucoup de choses ont changé entre-temps. Les marques collaborent dans de nombreux projets. Nous avons créé dans de nombreux domaines des groupes de travail qui opèrent au-delà du cadre des marques. La collaboration est une priorité absolue – on assiste maintenant à une véritable coopération, sans opposition. Notre nouvelle interface utilisateur C.O.R.E. OS en est un bon exemple. Sans une étroite collaboration, elle n’aurait jamais vu le jour. Cet esprit est également présent au niveau commercial, du marketing, des finances, de la production – je pense à notre concept d’ateliers – et à bien d’autres domaines, où il est évident que nous obtenons de bien meilleurs résultats en travaillant ensemble. Pourtant, nous ne sommes toujours pas là où nous pourrions être.
Redeker : Je peux vous révéler quelque chose, vous n’y arriverez jamais à 100 % ...
Monsieur Redeker, vous avez commencé en 1979 comme ingénieur de développement chez Körber.
Redeker : Je me souviens encore de l’entretien de candidature avec Eberhard Reuther. Il m’a d’abord fait visiter HAUNI. À l’époque, HAUNI était déjà une entreprise modèle. La Mecque de la technique de fabrication avec des machines et des équipements de pointe. Nous sommes ensuite passé de l’autre côté de la route, où se trouvait BLOHM. Un contraste comme le jour et la nuit. Eberhard Reuther m’a expliqué ses projets d’avenir pour BLOHM et m’a convaincu de débuter là-bas. Et, comment l’exprimer, comme il l’avait expliqué, tout s’est amélioré de manière encore plus intense ...
Quel a été le rôle du chancelier fédéral allemand Helmut Schmidt dans l’acquisition d’entreprises telles que BLOHM ou SCHAUDT ?
Redeker : Bergedorf, le site de HAUNI et BLOHM, était la circonscription électorale de Schmidt. Et Schmidt avait demandé à son ami Körber de reprendre BLOHM. Mais dans un premier temps, M. Körber souhaitait uniquement reprendre les collaborateurs dont il avait besoin pour son activité en pleine croissance. Dans le même temps, il avait également effectué une étude sur l’avenir du marché des machines-outils. BLOHM avait alors la célèbre machine à double tête pour l’industrie des turbines, ce qui fut digne d’intérêt.
Nell : Celle-ci existe encore aujourd’hui ...
Redeker : ... et elle a été un des déclencheurs de l’acquisition de BLOHM en tant que fabricant de machines-outils. Eberhard Reuther avait organisé la reprise et est alors immédiatement devenu directeur de secteur après la reprise. En tant que non technicien, il s’est profondément familiarisé avec la technique et a entamé avec beaucoup d’énergie la reconstruction de BLOHM. C’est là que je l’ai rencontré lors de mon entretien d’embauche.
Et comment ça s’est passé avec les entreprises Schleifring qui faisaient alors partie de l’Allemagne de l’Est comme MIKROSA, par exemple ?
Redeker : Ces entreprises de d’Allemagne de l’Est étaient déjà disponibles chez l’Agence fiduciaire depuis la réunification en 1989. Reuther est lui-même originaire de Leipzig. À l’époque, Helmut Schmidt était déjà au conseil d’administration de Körber. Lors du salon EMO de 1992, il a visité notre stand de BLOHM et SCHAUDT et m’a pris à part en me disant : au cours des trois prochaines années, vous ne fermerez aucune des trois entreprises d’Allemagne de l’Est ! Et c’est ainsi que nous nous sommes alors également occupés des entreprises Schleifring de l’Allemagne de l’Est. Ce fut très difficile à cette époque. J’ai toujours dit que ça se terminerait très mal avec seulement BLOHM et SCHAUDT et les trois entreprises d’Allemagne de l’Est. La décision à prendre à l’époque était : soit nous sortons des machines-outils, soit nous le faisons correctement.
La décision qui a été finalement prise est connue.
Redeker : Nous avons contacté de nombreux fabricants de rectifieuses pour qu’ils nous rejoignent et beaucoup se sont montrés intéressés. À notre grande surprise, également les entreprises suisses STUDER et MÄGERLE. Je me souviens encore des premiers entretiens. Les deux gérants avaient du succès, mais avec des personnalités différentes.
Nell : Comme les propriétaires : l’un était un investisseur suisse connu, l’autre était architecte et amateur d’art – c’est en outre de là qu’est née le slogan « The Art of Grinding. ».
Redeker : Lorsque tous les entretiens s’étaient déroulés de manière positive, il était évident que la partie Schleifring devait constituer un groupe à part. Les activités étaient notamment totalement différentes de celles que nous avions avec HAUNI. Une très forte concurrence, une clientèle internationale très hétérogène.
Quelle était l’ampleur de la crise au début des années 90 ?
Redeker : La conjoncture était au plus bas, dans le monde entier. Les industries telles que l’automobile ou les turbines n’ont plus investi. Pendant six mois, par exemple, nous n’avons reçu aucune demande chez SCHAUDT et, par conséquent, aucune commande. Certaines entreprises ont disparu en raison d’une faible couverture de fonds propres ou les propriétaires ont abandonné. De nombreuses entreprises d’Allemagne de l’Est pensaient que ce marché allait se redresser en raison des bons contacts avec la Russie : ce qui ne fut pas le cas !
MÄGERLE, qui avait travaillé de manière rentable même pendant la crise, tout comme STUDER, n’étaient pas en danger. Mais tous les autres membres de notre nouveau groupe Schleifring n’auraient survécus sans nous ou sans un autre investisseur.
Monsieur Nell, vous avez démarré votre carrière en pleine crise ?
Nell : Enfin, j’ai seulement vraiment débuté en 2002. Mais j’ai aussi connu des crises. Elles sont monnaie courante dans l’activité des machines-outils. Près de tous les sept ans, on observe un ralentissement. C’est un secteur relativement volatil. J’ai des amis dans le secteur alimentaire qui se plaignent lorsque les ventes chutent de 5 %. Cela ne nous dérange absolument pas. Il faut apprendre à gérer de telles situations et développer une certaine résilience, une résistance au ralentissement. Nous devons toujours savoir ce qui se passe lorsque nous tombons du chiffre d’affaires le plus élevé de 30 %. De quoi s’agit-il concrètement ? Quelles sont les mesures, à partir de quand deviennent-elles efficaces ? Il n’y a qu’une seule règle : il est interdit de licencier du personnel permanent. L’objectif est de préserver l’équipe. Car une chose est claire, une mauvaise passe est toujours suivie d’une amélioration et, à ce moment là, le succès sera uniquement au rendez-vous si nous pouvons compter sur une équipe compétente.
Redeker : À l’époque, nous n’avions pas une configuration comparable chez Schleifring. Nous avions tout simplement trop de personnel pour nos quelques commandes. Et les entreprises allemandes n’ont pas pu s’adapter assez rapidement en raison de la législation et nous avons toujours eu du mal à licencier des personnes chez Körber. Une toute autre mentalité régnait en Suisse. Malgré la réduction du personnel, les collaborateurs dans les entreprises étaient beaucoup plus satisfaits qu’en Allemagne. Là-bas, ils savaient qu’ils seraient à nouveau nécessaires et réembauchés après la crise, ce qui fut effectivement le cas à partir de 1994. Mais de nombreuses entreprises allemandes n’existaient alors déjà plus.
Nell : Ces dernières 20 années, nous avons gagné des parts de marché après chaque crise. Parce que nous avions les ressources nécessaires au sein du groupe – et les personnes. Parce que nous n’avions pas besoin de financement pour des commandes de grande ampleur et parce que nous avons commandé les matériaux à un stade précoce. Nous ne perdons que lorsque le prix éclipse tous les autres avantages à un moment donné. Nous ne participons pas aux concours de prix, tels que les pratiquent les concurrents en désespoir de cause. Car, ce que je vends a une valeur – et cette valeur perdure lorsqu’il arrive que le marché s’effondre temporairement.
Redeker : Mais vous devez aussi avoir les produits. Avant son acquisition par Körber, BLOHM avait misé à l’époque, sur une période de 20 à 30 ans, sur des machines standard qui n’avaient jamais fait l’objet d’une amélioration continue correcte. Et les nouveaux développements étaient aussi très rares. Le chiffre d’affaires n’a cessé de baisser et, entretemps, la concurrence a largement progressé dans l’industrie des turbines, si importante pour les rectifieuses de surfaces planes et de profils. Avec la reprise par Körber, Eberhard Reuther a initié une énorme manœuvre de rattrapage, puis de dépassement.
Nell : Au sein du UNITED GRINDING Group actuel, nous investissons chaque année la même somme pour la recherche et le développement, indépendamment de la conjoncture. Cela a déjà été établi chez Körber. Certains ont toujours des excuses pour ne pas investir dans le développement : Si les affaires ne marchent pas, nous n’avons pas d’argent. Et si elles marchent, nous n’avons pas le temps. Et finalement, on reste assis sur une gamme de produits obsolètes. Nous pouvons uniquement convaincre de nouveaux clients s’ils gagnent plus avec nos machines qu’avec les machines de la concurrence. C’est pourquoi il faut investir en permanence. Les résultats peuvent bien entendu être optimisés, mais jamais au détriment de la substance fondamentale. Et d’autre part : nous pouvons être sûrs qu’il y aura toujours des machines-outils. Tant que nous, êtres humains, bougeons, habitons et manipulons des choses que nous pouvons toucher.
Redeker : On dit que la machine-outil est la mère de toutes les machines.
Nell : C’est une activité à cycles très longs. Il ne s’agit pas d’augmenter la rentabilité des ventes de deux dixièmes. C’est une activité de long terme, et c’est ainsi que nous voulons l’exploiter. Avec responsabilité.
Nouvelle référence : Le groupe Schleifring avait déjà commencé l’internationalisation, et aujourd’hui UNITED GRINDING Group réalise plus de la moitié de ses chiffres d’affaires en dehors de l’Europe. Qu’est-ce qui a été poursuivi dans ce contexte ?
Redeker : Chez BLOHM et SCHAUDT, nous avions déjà de gros clients aux États-Unis et en Chine, en partie également au Japon. Mais nous n’étions pas encore aussi présents en terme de taille dans ces contrées. STUDER nous a ensuite rejoint avec ses propres succursales ou représentations internationales. Nous étions ainsi en mesure d’étendre notre présence aux États-Unis et en Chine. Interlocuteurs sur place, services sur place. À l’époque, nous avions cherché un nom cohérent pour les États-Unis en optant finalement pour UNITED GRINDING Technologies, qui est à l’origine du nom UNITED GRINDING Group. J’en suis très content.
Nell : La différence, c’est que nous étions à l’époque une entreprise européenne avec des activités internationales, et aujourd’hui, nous sommes devenus plus forts en tant que groupe international. Quiconque entre aujourd’hui chez UNITED GRINDING North America perçoit une entreprise américaine, et non une succursale d’une entreprise allemande ou suisse. Un fait qui est très similaire en Chine. Beaucoup de choses que nous discutons aujourd’hui ont été initiées dans le passé. Et nous avons plutôt bien progressé sur cette voie.
L’une des raisons était sûrement que le groupe Körber Schleifring ainsi que UNITED GRINDING Group reposent tous les deux sur l’idée de gérer différentes entreprises en tant que groupe. Quels sont concrètement les avantages ?
Redeker : C’est simple : toutes les entreprises et toutes les marques du groupe peuvent compter sur une épine dorsale performante en tant que société mère. Cela aide en cas de crise – ainsi le service aprèsvente peut, par exemple, être assuré pour les clients dans toutes les situations d’urgence. C’est aussi utile pour l’internationalisation, lorsqu’on est en mesure, entre autres, de créer ses propres succursales pour la vente et le service après-vente, sans devoir tout financer seul.
Nell : En ayant des entreprises différentes, nous avons également des clients et des secteurs d’activité différents avec des évolutions économiques différentes. Par conséquent, chaque cycle individuel est moins prononcé pour le groupe. La numérisation est un sujet
actuel auquel le groupe apporte une aide précieuse. Dans ce contexte, la taille et la collaboration avec davantage de personnes sont des atouts essentiels qui permettent de développer davantage de savoir-faire et de meilleurs logiciels.
N’existe-t-il pas aussi des situations dans lesquelles des entreprises ne sont pas si enthousiastes à l’idée d’être soudées ensemble pour former un groupe ?
Redeker : Il existe bien entendu des égoïsmes sains de chefs d’entreprise individuels. Un tel égoïsme est en partie sain, mais parfois aussi une entrave pour former des synergies.
Nell : L’enthousiasme n’apparaît en fait que plus tard, lorsque la valeur ajoutée devient visible.
Redeker : Un des facteurs importants pour l’évolution du groupe actuel fut sûrement également l’entreprise fondatrice avec la constellation Körber AG et la fondation Körber. Car un tel concept a un effet similaire à une entreprise familiale, en forgeant des perspectives sur le long terme et en conservant les bénéfices dans l’entreprise. Il confère également aux personnes dirigeantes et qui y travaillent un sentiment de faire quelque chose pour l’utilité publique.
Nell : Voilà le contexte de fond de la naissance du groupe actuel.
Redeker : Sans ce contexte, UNITED GRINDING Group n’existerait pas aujourd’hui. Je ne pense pas qu’en 1993 quelqu’un d’autre aurait été prêt à réunir autant d’entreprises qui avaient presque toutes des difficultés, et à racheter en plus les entreprises d’Allemagne de l’Est. Même si ces dernières avaient un prix d’achat négatif, c’est-à-dire avec des subventions. Mais les subventions sont efficaces pendant deux ou trois ans, et non à long terme. Et puis, il faut aussi veiller à poser les jalons nécessaires pour retourner dans la prospérité sur le long terme. Mais cela est uniquement possible dans des entreprises ou dans un groupe d’investisseurs qui pensent à long terme et pas seulement à demain et à après-demain.